Le métier de Brodeck nâest pas de raconter des histoires. Son activité consiste à établir de brèves notices sur lâétat de la flore, des arbres, des saisons et du gibier, de la neige et des pluies, un travail sans importance pour son administration. Brodeck ne sait même pas si ses rapports parviennent à destination. Depuis la guerre, les courriers fonctionnent mal, il faudra beaucoup de temps pour que la situation sâaméliore. « On ne te demande pas un roman, câest Rudi Gott, le maréchal-ferrant du village qui a parlé, tu diras les choses, câest tout, comme pour un de tes rapports. » Brodeck accepte. Au moins dâessayer. Comme dans ses rapports, donc, puisquâil ne sait pas sâexprimer autrement. Mais pour cela, prévient-il, il faut que tout le monde soit dâaccord, tout le village, tous les hameaux alentour. Brodeck est consciencieux à lâextrême, il ne veut rien cacher de ce quâil a vu, il veut retrouver la vérité quâil ne connait pas encore. Même si elle nâest pas bonne à entendre. « A quoi cela te servirait-il Brodeck ? sâinsurge le maire du village. Nâas-tu pas eu ton lot de morts à la guerre ? Quâest-ce qui ressemble plus à un mort quâun autre mort, tu peux me le dire ? Tu dois consigner les événements, ne rien oublier, mais tu ne dois pas non plus ajouter de détails inutiles. Souviens-toi que tu seras lu par des gens qui occupent des postes très importants à la capitale. Oui, tu seras lu même si je sens que tu en doutes... » Brodeck a écouté la mise en garde du maire. Ne pas sâéloigner du chemin, ne pas chercher ce qui nâexiste pas ou ce qui nâexiste plus. Pourtant, Brodeck fera exactement le contraire.PRIX GONCOURT DES LYCEENS 2007 (12/11/2007)